Il y a des montres qui traversent le temps avec une discrétion élégante, comme un murmure dans le vacarme du monde. Et ces montres, Cartier les maitrise parfaitement. La Tank à Guichets en fait partie. Cartier la fait renaître cette année dans sa collection Cartier Privé, avec cette grâce toute particulière qui consiste à revisiter le passé sans jamais le singer. C’est un des lancements marquant de cette cette édition 2025 de Watches and Wonders.
Un cadran qui disparaît : l’heure qui apparait !
La première chose qu’on remarque, c’est justement ce qu’on ne voit pas : pas d’aiguilles, pas de cadran classique. C’est déroutant. On pourrait croire à une Reverso retournée, mais non. Ici, deux fenêtres, ou plutôt deux « guichets« , pour faire apparaître les chiffres des heures et des minutes, comme par magie. L’heure sautante, dans toute sa poésie mécanique. C’est une manière de lire le temps qui renverse les habitudes. Plus graphique. Plus directe. Et, paradoxalement, plus mystérieuse. On ne demande que cela dans notre monde horloger très codifié.
Cette façon d’afficher l’heure, dite “sautante” pour les heures et “traînante” pour les minutes, nous ramène à une époque où l’innovation horlogère flirtait avec l’audace stylistique. Un système dont on attribue la paternité à Josef Pallweber, qui breveta dès 1883 un affichage digital à chiffres sautants pour les montres de poche. Mais bien avant lui, l’horloger français Antoine Blondeau aurait conçu une montre à guichet pour le roi Louis-Philippe Ier, vers 1830 . C’est dire si l’idée a fait son chemin, presque 2 siècles plus tard.
Cartier, pionnier du temps moderne
Chez Cartier, la Tank à Guichets apparaît en 1928, en plein âge d’or de l’Art Déco. Le monde change, l’électricité s’installe dans les villes, les voitures filent, les trains accélèrent. Il faut lire l’heure d’un coup d’œil, plus le temps de sortir sa montre de gousset. Louis Cartier comprend l’enjeu : il supprime les aiguilles mais garde le style de sa Tank dessinée en 1917 et lancée en 1919. Le résultat ? Une montre rectangulaire, sobre, épurée, où la lecture du temps devient presque abstraite. On regarde l’heure comme on lirait un code. En 1997, Cartier en propose une version en platine pour les 150 ans de la Maison, et en 2005, une édition limitée en or rose vient compléter l’histoire. Et puis c’était tout. Les modèles vintage de ces montres, prisées des ventes aux enchères, étaient comme des chimères.
La version 2025 poursuit cette lignée rare. Cartier nous offre deux visages de la Tank à Guichets. L’un fidèle au modèle original, avec un affichage vertical des heures à midi et des minutes à six heures. L’autre plus audacieux : une édition limitée à 200 exemplaires en platine – malheureusement limitée – avec guichets inclinés à 10h et 4h, comme un clin d’œil aux expérimentations stylistiques des années 1930.
Une mécanique à la hauteur
Sous la surface épurée, le mouvement 9755 MC fait le travail. À remontage manuel, il combine heures sautantes et minutes traînantes, dans un boîtier d’une finesse remarquable : 6 mm d’épaisseur seulement. Comme sur les modèles historiques, la couronne de remontoir est placée à midi. Un clin d’œil subtil mais essentiel pour parfaire cette pièce.
Une montre qui parle autrement
Il y a dans cette montre une manière élégante de dire « je ne fais rien comme les autres ». C’est finalement « très Cartier ». Afficher l’heure sans aiguilles, c’est déjà toute une philosophie, c’est oser faire simple, sans être simpliste. C’est préférer l’allusion au démonstratif. Et Cartier le fait avec un raffinement rare : boîtiers satinés, brancards polis, disques dorés, et cette typographie fine qui évoque les chiffres d’un ancien wagon-lit. Vraiment, j’insiste sur cette typo. Prenez le temps de l’apprécier, elle y est pour beaucoup dans la réussite stylistique de cette montre.
La version en platine avec inscriptions rouges, montée sur un bracelet en alligator bordeaux, est tout simplement… irrésistible. Un choc visuel. Une pièce qui ne crie pas son luxe, mais le murmure avec assurance.