Il y a quelques mois, j’ai fait la connaissance d’Yves Chadeyras, le fondateur la boutique Les Francs Tireurs, spécialisée dans le costume sur-mesure. Après quelques fructueux échanges, nous nous sommes lancés dans la confection d’un costume avec une vision commune qui nous a rapidement guidé sur les détails que nous souhaitions présenter ici.
Avec le recul, je dois admettre qu’un excellent costume vient avant tout de la rencontre avec un excellent conseiller. Yves est en ce sens une personne qui sort des sentiers battus dans le milieu. C’est d’ailleurs ce qu’il aimait dans le nom « Franc Tireur », ce côté libre et affranchi. Yves se veut indépendant, prônant une vision de l’élégance liée à son expérience personnelle.
Yves Chadeyras, le fondateur des Francs-Tireurs
Avant de fonder sa propre marque, ce passionné d’élégance masculine a roulé sa bosse dans le milieu du costume. A ses vingt-ans, alors qu’il n’était encore qu’un jeune étudiant sur les bancs de son école de commerce, il se décida à vendre des costumes réalisés en mesure auprès d’un atelier thaïlandais. L’idée était alors de fournir de beaux costumes aux étudiants de son école qui se devaient d’être équipés pour leurs stages et futurs embauches.
Lassé de l’irrégularité de la confection de son atelier, il changea de crèmerie pour travailler avec une entreprise Roumaine réputée pour son excellente production, capable de concevoir de grands volumes de costumes à l’année, tout en conservant une qualité très régulière. C’est d’ailleurs cette entreprise qui fournit aujourd’hui la grande majorité des marques de costume en Europe et c’est l’atelier de nombreux « tailleurs » parisiens.
Entretemps, il fit la découverte de l’exceptionnel tisserand Holland & Sherry auquel j’ai consacré un article et interviewé le directeur commercial France. Stupéfait par la qualité des tissus de la maison, Yves, en tant que grand perfectionniste s’est décidé à offrir des costumes haut-de-gamme en défendant une certaine vision : ne laisser repartir le client qu’une fois que tout est parfait. Alors certes, je dis souvent que « la perfection n’est pas de ce monde » mais force est de constater qu’Yves fait de son mieux pour chaque jour s’en rapprocher.
Après avoir une fois de plus fait le tour et atteint les limites de son atelier roumain – trop rigide en termes de personnalisation des costumes – c’est au Portugal qu’il trouva l’atelier qui lui permet aujourd’hui de modeler les costumes qu’il propose, avec un large choix d’options. Auparavant associé à d’autres partenaires, Yves créa « Les Francs-Tireurs » avec sa compagne, et avec pour objectif de faire vivre une expérience peu commune à ses clients.
L’expérience Les Francs-Tireurs
Après avoir fixé un rendez-vous avec Yves au sein de ses agréables et lumineux locaux situés au 89 rue du Faubourg Saint-Antoine, la première rencontre commence toujours par une discussion. Pour Yves, il est important de comprendre les besoins pour proposer les bonnes liasses de tissu et les bons détails.
Une fois l’usage du costume défini, on parle couleurs de tissu, couleur de peau, morphologie, habitudes et surtout envies. On vient faire du sur-mesure pour répondre à un problème, pour trouver ce que le prêt-à-porter ne peut pas nous offrir. C’est cette personnalisation et cette adaptation du costume à celui qui le porte qui fait la force du sur-mesure. Il serait dommage de passer à côté. Yves l’a bien compris, et s’efforce à chaque rendez-vous de gommer au mieux ces petits problèmes que seuls la mesure peut résoudre.
Les détails de ce costume
Pour ce costume, on a voulu travailler ensemble avec une liasse bien connue du drapier Hardy Minnis : son emblématique tissu « Fresco ». Le Fresco, avec un « F » majuscule, est un tissu développé au début du XXeme et qui a été breveté en 1907. Il a de particulier qu’il est naturellement très peu froissable sans traitement chimique mais simplement par sa technique de tissage. Celui que j’ai utilisé est un « 2 ply », c’est à dire tissé avec un fil lui même composé de 2 fils torsadés. Cette particularité lui donne une vrai « nervosité ». Le tissu n’est pas fluide et froissable mais il est au contraire rigide et peu sensible au froissement.
Ce qu’on aime sur ce tissu avec Yves, c’est qu’il a vraiment quelque chose de très particulier. C’est un tissu robuste pour affronter toutes les situations et surtout les usages répétés, en plus d’être très aéré, et surtout d’avoir un tombé vraiment net. Ça donne un costume très « impeccable » dans toutes les situations, qu’on sorte de l’avion ou qu’on passe une journée en réunion juste après un CDG-JFK de nuit.
Alors attention, j’adore ce tissu, tout comme Yves, mais ce n’est pas pour tout le monde. Certains peuvent le trouver trop rêche et rigide, voir même désagréable pour d’autre ! Ce n’est pas totalement faux car ce tissu est au départ un peu rustique. Il faut plusieurs ports pour qu’il se détende et s’assouplisse. Je vous rassure, après avoir passé une journée avec sous les 32°C de Florence lors du Pitti Uomo 96, ce costume est désormais très agréable !
Pour ce qui est de la fabrication du costume, nous avons choisi l’option « petite-mesure », qui permet d’avoir un entoilage complet traditionnel dont la toile est coupée et appliquée à la main, et avec des finitions mains sur l’emmanchure, le col et le bas de la veste.
Les détails de la veste
La veste est une deux boutons, avec deux fentes à l’arrières, deux poches plaquées latérales et une poche pectorale « barchetta » (légèrement courbée) côté coeur. Elle est non doublée, à part dans le haut du dos, les manches et la partie avant qui supporte l’entoilage de la veste (totalement entoilée).
Les épaules de cette veste sont dites « libres », c’est à dire quasiment sans aucun rembourrage, aussi appelé « padding ». Cela permet d’épouser parfaitement la ligne de l’épaule et de la mettre en valeur. Attention, certaines silhouettes ne sont pas adaptées à ce genre de montage. Mais ça, Yves saura vous l’expliquer. Les manches disposent de boutonnières fonctionnelle à 4 boutons, ce qui est un standard. Les revers font 11,5cm de largeur.
On retrouve à l’intérieur de la veste deux poches portefeuilles à droite et gauche, et d’autres poches accessoires à gauche. Comme d’habitude, je vous recommande de ne pas surcharger vos poches pour ne pas déformer votre costume et créer des parties gonflées sur votre silhouette.
Les détails du pantalon
Nous avions tous les deux envie de faire un pantalon Ghurka pour ce test. Je crois d’ailleurs que c’est un peu ce que je venais chercher chez Yves : son amour pour le Gurkha ! Je ne vais pas vous refaire ici l’histoire de ce pantalon – qui sera l’objet d’un futur article – mais sachez qu’il a de particulier que sa ceinture y est intégré directement au niveau de la taille et que cela permet d’avoir un pantalon qui tient parfaitement, et dont l’esthétique complexe et originale lui donne un supplément d’élégance qu’aucun autre modèle ne peut se targuer d’avoir.
Le Gurkha se porte taille haute, bien haute, et il vient se poser tranquillement sur les hanches pour ne plus en bouger. C’est un pantalon très confortable s’il est bien coupé. Sur ce costume, j’ai choisi un bas revers de 4,5cm de hauteur et de 17,5cm d’ouverture. Comme je dis dans chaque test, ces dimensions dépendent de votre morphologie et de vos goûts. Donc si vous avez les mêmes que moi (172cm 68/69kg), à vous de jouer.
Ce pantalon est doté de deux poches tailleur à l’avant et deux poches passepoilées boutonnées à l’arrière. Il dispose aussi d’une double paire de fentes orientées vers l’intérieur, aussi appelées « fentes à la française », contrairement aux fentes orientées vers l’extérieur du pantalon qui sont appelées « fentes a l’italienne ».
Les points d’attention d’Yves
Pour la coupe, Yves cherche à travailler la silhouette de l’homme qu’il habille. Son but est de « rééquilibrer ce qui doit l’être » comme il aime à dire. Généralement, ce rééquilibrage tourne autour d’un boutonnage bien positionné, d’une bonne longueur de veste, d’une bonne hauteur de pantalon et d’une largeur de revers adaptée. Comme le dit Yves :
Tout ces détails ont une incidence sur l’équilibre d’une tenue. Et ce ne sont pas des histoires de « Direction Artistique ». C’est ça la plus grande escroquerie de certains créateurs de mode. Faire passer des variations qui doivent être liées à la morphologie comme des variations de style. On sait qu’un revers très fin ne marche que sur des personnes longilignes. Même chose sur les vestes courtes, les crans implantés très hauts ou très bas, des pantalons très slim ou très larges. Mon objectif, c’est de créer une belle silhouette, sans « show off ».
Yves Chadeyras – Fondateur des Francs Tireurs
Un oeil au service d’un style
Les points de base qu’Yves travaille sont essentiels dans le tombé d’un costume et ils font toute la singularité de son style. Il soigne les détails qu’il aime mettre en avant, ce qui donne sur la veste une emmanchures assez haute, une poitrine étroite et une carrure ample, et sur les pantalons une taille plutôt haute, une belle aisance sur la jambe tout en gardant les proportions équilibrées d’un bas de pantalon raisonnablement fuselé.
J’aime les revers assez présents, sans excès non plus. Le côté pratique est aussi très important. C’est pour cela que j’aime autant les poches plaquées par exemple. Un vêtement – tel que je le conçois – doit répondre à un besoin et son design doit être fait en conséquence. Donc pour un vêtement plutôt formel (business++, cérémonie..) je vais le conseiller très simple, très épuré, des lignes propres, peu de texture.
Yves Chadeyras – Fondateur des Francs Tireurs
Mais dans tous les cas, c’est l’utilisation de la pièce qui est le fil conducteur des choix stylistiques. Par exemple, pour un costume pour le travail il vaut mieux avoir un tissu lourd et costaud car il serait absurde de choisir des poids faibles et des “super” élevés pour frotter son pantalon toute la journée sur sa chaise de bureau ou dans les transports. Pour un costume de cérémonie, qu’on va pas porter très souvent, on peut se permettre d’aller chercher des tissus plus fins, avec un comportement et un look plus “luxueux”. Le costume sera peut être plus fragile mais comme il sera peu porté, tout ira bien.
Je pense, comme beaucoup, qu’il faut consommer moins et mieux. À ma petite échelle, ça passe déjà par des produits solides qu’on va garder.
Yves Chadeyras – Fondateur des Francs Tireurs
Plus qu’un costume, un essentiel
Ce costume bleu marine costaud et peu froissable est devenu un pilier de ma garde robe. En ce moment à Chicago pour plusieurs mois, c’est l’un des deux costumes que j’ai pris avec moi. Non pas que je n’aime pas les autres, mais je sais qu’avec ce costume je peux aller dans 99% des endroits et des évènement où je serai invité, tout en ayant jamais de crainte d’avoir un vêtement trop fragile pour un diner ou un voyage.
Je sais que vous attendez tous avec impatience la fin de l’article pour connaître le prix de ce costume, alors je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps. Avec tous les détails que vous venez de voir ce costume coûte exactement 1440€ pour un nouveau client et 1290€ pour une personne déjà cliente (car son « patronage » est déjà fait). De manière plus générale, comptez entre 1450€ et 1750€ en fonction du tissu et avec l’option « petite-mesure », qui permet d’avoir un entoilage complet et des détails de construction différents. Il est possible de réduire la note si vous choisissez la finition « semi-traditionnelle » qui dispose d’un semi-entoilage et qui oscille entre 990€ et 1300€ en fonction du tissu. Un prix très attractif compte tenu de la qualité de confection et du service.
Je ne vais pas conclure en vous disant que c’est une bonne adresse à ne pas oublier, je pense que vous aviez compris.
A.
