Il y a quelque temps, Arnaud est parti en Normandie à la découverte d’appellations qui semblaient méconnues, voire laissées pour compte, et qui reviennent sur le devant de la scène des spiritueux français depuis quelques années avec l’essor de la mixologie et d’un travail de sensibilisation de ce terroir.
N’ayant pas eu l’occasion de participer à cette superbe excursion, je me suis vexé (merci Arnaud) et j’ai décidé d’approfondir mes connaissances sur le sujet, en passant, bien sûr, par ce moment que nous apprécions tous : la dégustation.
Quelques bouteilles de jus de pomme avant de découvrir le reste !
Qu’est-ce que les « appellations cidricoles » ?
Lorsque l’on me parle de cidre ou de calvados, j’ai tendance à me remémorer des souvenirs d’enfant en Normandie, les crêpes ou bien les galettes. Ce sont aussi les premières bolées de cidre, le port de Honfleur et les plages de Deauville.
Jusqu’à récemment, je ne savais pas qu’il existait une telle diversité d’appellations cidricoles et surtout cette culture et cette passion pour la pomme. Je ne savais pas que l’on faisait du cidre avec plusieurs types de pommes classées en 4 grandes familles (amères, douces-amères, acidulées, douces) et que le poiré ou le pommeau venaient aussi de ces appellations.
Je me suis donc plongé dans le monde de ces appellations, qui sont représentées par l’Interprofession des Appellations Cidricoles (IDAC) et dont voici les 14 Appellations Cidricoles :
- Calvados
- Calvados Pays d’Auge
- Calvados Domfrontais
- Pommeau de Normandie
- Pommeau de Bretagne
- Pommeau du Maine
- Cidre Pays d’Auge
- Cidre Cornouaille
- Poiré Domfront
- Eau de vie de cidre de Normandie
- Eau de vie de cidre de Bretagne
- Eau de vie de cidre du Maine
- Eau de vie de poiré de Normandie
- Cidre Cotentin
En toute sincérité, mon investigation n’est pas allée jusqu’à un voyage au cœur des tous les pays cidricoles, cependant après tant de recherches, de discussions et de dégustations ce désir épicurien d’aller à la rencontre de ces terroirs a germé en moi.
Je me suis intéressé aux appellations cidricoles normandes, et la prochaine fois sur la route de Honfleur un crochet par le pays d’Auge ou encore le Cotentin s’impose.
Le jus de pomme, la base de tout.
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Les Appellations Cidricoles Normandes
Il existe 7 Appellations d’Origine en Normandie :
- Calvados AOC (Appellation d’Origine Contrôlée)
- Calvados Pays d’Auge AOC
- Calvados Domfrontais AOC
- Pommeau de Normandie AOP (Appellation d’Origine Protégée)
- Cidre Pays d’Auge AOP
- Poiré Domfront AOP
- Cidre Cotentin AOC
Cela représente au total une surface de vergers exploités de 8 000 hectares. Ce sont 340 producteurs qui élaborent chaque année, Calvados, Pommeaux, Cidres, Poirés, pour plus de 80 pays importateurs.
A noter que pour l’élaboration d’une bouteille de cidre il faut un kilo de pommes tandis que pour celle d’une bouteille de Calvados à 40 % vol. il faut 10 kilos de pommes. Au total, chaque année, ce sont 50 000 tonnes de pommes qui sont nécessaires à la production des spiritueux et boissons cidricoles normandes.
Dossier « Les Appellations Cidricoles » – IDAC – 2018
Le Calvados
Avec une production de près de 8 millions de bouteilles par an sur les trois appellations de Calvados qui existent, il est le véritable symbole des terroirs normands.
Il est élaboré à la suite de la distillation de cidre. C’est en 1553 que la première mention écrite par Gilles de Gouberville, fait part de la distillation de cidre afin d’obtenir une eau-de-vie de bouche.Le calvados est élaboré avec du cidre, mais on trouve parfois dans sa conception une petite part de poire à poiré qui peut être présente jusqu’à 30% maximum, à l’exception de l’AOC Calvados Domfrontais, qui en est composé à 30 % minimum.
Buvez des pommes… Mais ça c’est des coings !
L’âge d’or du Calvados se situe à la fin du XIXe siècle lors de l’épidémie de phylloxéra qui a ravagé et presque détruit le vignoble français. Bien avant le fameux café-calva servit dans les bistrots et troquets, tôt au petit matin, à l’heure ou Paris s’éveille et où se croisent fêtards et travailleurs.
C’est seulement en 1942 qu’est créée l’AOC du Calvados du Pays d’Auge, viendront ensuite L’AOC Calvados en 1984 et enfin l’AOC Calvados Domfrontais en 1997.
Dossier « Les Appellations Cidricoles » – IDAC – 2018
Pour obtenir un bon calvados, on utilise quatre types de pommes : « amère » « douce-amère », « douce », « acidulé ». Ensuite avec le jus récolté, on réalise un assemblage de ces pommes afin de marier au mieux les caractéristiques de chacune, pour élaborer un cidre équilibré. Le cidre est ensuite distillé pour obtenir un calvados harmonieux.
Le Calvados n’est jamais le résultat d’une seule variété, mais toujours celui de l’équilibre de plusieurs variétés, fruit d’un savant assemblage. C’est une eau-de-vie apte au vieillissement. On trouve d’ailleurs sur les étiquettes des bouteilles, des mentions de vieillissement ou d’élevage en fût de chêne qui sont les suivantes :
- « VS » (Very Special), aussi appelée « trois *** » ou « trois pommes » font référence à un calvados de deux ans de vieillissement minimum en fût. Car ce qu’il faut savoir – et cela vaut aussi pour le whisky ou le cognac par exemple – lorsqu’un alcool est embouteillé, il ne vieillit plus ;
- Les calvados « Vieux » ou « Réserve » font référence à un calvados de trois ans de vieillissement minimum en fût ;
- Les « VSOP » (Very Superior Old Pale), « Vielle Réserve » ou bien le « V.O » (Very Old) sont âgé de 4 ans minimum en fût ;
- Et enfin il est aussi fait mention de « Hors d’Age », « Napoléon », « Très vielle Réserve », « Très Vieux ». Ce sont des eaux-de-vies qui ont été élevées durant six années minimum, en fût de chêne.
Depuis quelques années, avec le renouveau des spiritueux français, apparaissent des nouvelles notions. Le Calvados n’y fait pas exception :
- « single cask » : cuvée limitée issue d’un seul et même fût ;
- « brut de fût » : Calvados pris directement à la sortie du fût à leur degré naturel sans adjonction d’eau ;
- « finish » : le finish concerne la deuxième période de maturation, après un premier vieillissement, dans des fûts ayant contenu un autre alcool tel que du whisky, du sherry, du sauternes, etc.
L’évolution de la couleur du Calvados lors du vieillissement.
Ces Calvados, nouvelle génération, offrent à cette eau-de-vie séculaire un véritable renouveau. Ils s’inscrivent dans une dynamique qui séduit à la fois le consommateur de spiritueux, mais aussi des barmans et mixologues qui remettent le calvados au goût du jour.
Pour la petite anecdote, l’origine du mot Calvados reste mystérieuse, cependant, on pense qu’elle ferait référence à la mention de deux « calva dorsa » : signifiant dos chauve en latin. Cela fait références à d’anciennes cartes marines illustrant deux bandes de terre dépourvues de culture et de végétation, sur la falaise normande entre Port-en-Bessin et Arromanches, servant de repères aux navigateurs d’autrefois.
Les futs où vieillit le Calvados.
Bien évidemment, le Calvados ne déroge pas à la mode du « food pairing » (associer un plat et un alcool). Très souvent utilisé en cuisine pour mariner, flamber, déglacer, parfumer… le Calvados est aussi servi à température en accompagnement de foie gras, servi glacé avec un poisson fumé, une viande en sauce ou bien avec un plateau de fromages.
Peu orthodoxe me direz-vous, mais il est aussi très intéressant de le déguster avec du café : le fameux « café-calva » qui revient au-devant de la scène avec des Calvados d’exception associés à des cafés de terroirs rigoureusement sélectionnés ou encore sous forme de cocktails.
Bien loin de son origine de bistrot et de boisson bas de gamme, le café-calva est pour moi une excellente manière de découvrir ou redécouvrir le Calvados. Ses arômes complexes sont soulignés et mis en valeur par ceux des cafés de grand cru et forment un équilibre gustatif agréable et singulier.
Dégustation d’un calvados XO
Domaine de la Flaguerie – Les Vergers de Ducy
La dégustation du Calvados
Le Calvados révèle pour moi le mieux sa complexité et ses secrets lors d’une dégustation simple. On l’apprécie particulièrement dans un verre tulipe qui permet de révéler des arômes de pommes cuites, des saveurs vanillées et miellées et sa finale fondue délicatement épicée. Ce type de dégustation est particulièrement appréciable avec des eaux-de-vies âgées de 10 à 15 ans.
La diversité de ces Calvados d’exception ainsi que des « single cask », « brut de fût » ou encore des « finish » autant d’occasions de partager avec quelques amis un moment privilégié, où le temps ne compte plus, où le silence évoque une autre langue.
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Le Pommeau
Interdit à la commercialisation jusqu’en 1981 (il était prohibé auparavant), où une dérogation est obtenue pour la commercialisation d’apéritif à base de cidre, c’est seulement en 1991 que le pommeau obtient sont AOC et devient Pommeau de Normandie.
Je qualifierais personnellement le pommeau comme étant un cousin éloigné du Pineau des Charentes. En effet, c’est aussi un alcool obtenu après « mûtage », c’est-à-dire l’ajout d’un alcool, ici du Calvados titrant à minima 65 %vol. La boisson finale titre entre 16 et 18 % vol.
Les pommes sont ramassées d’octobre à décembre et doivent provenir au minimum à 70 % de pommes de types amères ou douces-amères. La pulpe une fois broyée, est pressée afin d’obtenir un moût (jus). Ce moût est ensuite vieillit au minimum 14 mois dans un fût de chêne. C’est à la suite de cet élevage que l’ajout du Calvados est réalisé pour le « mûtage ».
Le Pommeau de Normandie est produit seulement par 70 producteurs pour une production de 800 000 bouteilles par an, ce qui en fait un produit rare et apprécié des amateurs (pour rappel, il est produit 8 millions de bouteilles de Calvados par an). Ce que j’aime particulièrement dans le Pommeau de Normandie, c’est son aspect surprenant pour le « food pairing » et ce peu importe le moment où il est servi, que ça soit l’apéritif entre 8 et 10° ou lors d’un repas.
Ses arômes fruités et sa rondeur seront élégamment soulignés. En gastronomie il se marie parfaitement avec un foie gras ou avec certains fromages notamment les pâtes persillées. Il est aussi utilisé en cuisine, ses arômes parfument à merveille les sauces pour viandes et poissons ou encore une crème anglaise.
Le moment où j’apprécie le plus le Pommeau de Normandie, c’est lorsque le repas se termine, en accompagnement d’un carré de chocolat. Il tient parfaitement son rôle de « vin » de conversation, moment de partage, où chacun est libre de prolonger le plaisir gustatif.
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Le Poiré
Le Poiré est reconnu comme AOC en 2002, puis comme AOP en 2006. L’origine de son nom viendrait de « Picarium » introduit au IVe siècle par Saint Jérôme, il désignera ce terme et le mettra sur le même plan que celui de « Sicera » qui signifie « cidre » en latin.
Le Poiré, cousin des cidres Pays d’Auge et Cotentin, est issu uniquement de poires à poiré. On ne compte pas moins de trente variétés de poires dans le cahier des charges, néanmoins, la variété « Plant de Blanc » est présente à plus de 40 % dans la composition du poiré et lui apporte douceur et rondeur.
Tout comme son cousin le cidre, on n’y ajoute pas de gaz et on ne pasteurise pas les jus. Ces manipulations sont strictement interdites. L’effervescence est dû à une fermentation lente et naturelle qui se poursuit de la cuve à la bouteille.
Le Poiré, c’est en chiffre 20 producteurs sur toute l’aire d’appellation, pour 150 000 bouteilles produites par an. Ce qui est vraiment une production très confidentielle et exclusive. C’est une boisson souple, élégante et raffinée qui est une excellente alternative à un vin effervescent.
On distingue deux types de Poiré, un long et tendre qui séduit par sa fraîcheur, sa légèreté et sa gourmandise, l’autre vif et droit, qui vous surprendra par sa nervosité, sa minéralité et sa complexité.
J’ai pour mon réveillon de Noël eu la possibilité de gouter au deux et j’ai une légère préférence pour le second qui à mon humble avis se rapproche vraiment d’un vin effervescent de par sa texture en bouche, ses arômes, sa puissance et sa longueur tandis que le premier plus souple et aérien était plus adapté pour l’apéritif.
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Le Cidre
« Soleil qui rit à la Sainte Eulalie, promet Cidre à la folie »
Son nom à une origine bien lointaine, il tire ses racines de l’hébreu « Chekar » puis du grec «Sikera » donnant naissance en latin à « Sicera » puis enfin au cidre.
Je pourrais vous parler longtemps du cidre que j’affectionne tout particulièrement, il est pour moi l’image, l’étendard du terroir Normand. C’est une boisson qui a su s’adapter à son temps, il est possible d’en trouver et d’en boire des doux, des brut, des bios, des biodynamiques etc.
Domaine de la Flaguerie – Les Vergers de Ducy
Il possède une large palette de goûts et de couleurs, et il est pauvre en sucre. Il est régi par un cahier des charges strict qui en fait une boisson naturelle sans manipulation moderne. Il n’y a pas de gazéification, pas de pasteurisation, pas d’ajout de levure, pas de chaptalisation. Il est resté la boisson authentique de nos grands-parents tout en s’adaptant à notre mode de consommation actuel.
Il existe deux appellations de cidres normands que je vous recommande de déguster.
AOP Cidre du Pays d’Auge : 400 000 bouteilles/an.
Ce sont des cidres fins, ronds et fruités, leurs moelleux s’expriment notamment avec des arômes de beurre frais ; sa complexité, ses notes épicées et sa légère amertume sur la finale en fait un cidre parfait pour accompagner un repas, un plateau fromage, un après-midi en amoureux ou en famille sur les immenses plages normandes.
AOP Cotentin produit : 130 000 bouteilles/an.
Les arômes de ces cidres sont surprenants, plus charpentés, très peu sucré avec une amertume franche et de légers arômes iodés. Ils se marient parfaitement avec des huîtres et autres « fruits » de mer, comme les moules de la Baie du Mont-Saint-Michel ou bien encore de charcuterie. C’est mon cidre préféré pour bien entamer les réunions entre amis épicuriens modernes ou hédonistes.
Voici un petit tableau qui vous permettra d’y voir plus clair entre ces deux appellations
Dossier « Les Appellations Cidricoles » – IDAC – 2018
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Voici les 3 adresses testées et approuvées par Arnaud :
- Le Manoir d’Apreval. Excellent Cidre du Pays d’Auge, et je ne vous parle pas leur Calvados ou encore de leur pommeau. Un sans fautes. Situé à la sortie de Honfleur. La vue sur Manche est magnifique : 15 chemin des Mesliers, 14600 Pennedepie – http://www.apreval.com/
- La ferme de Billy. Excellent cidre ou cidre de glace. Ils font un brunch exceptionnel le week-end. Réserver plusieurs semaines à l’avance. Non loin de Caen : 29 bis, 31 Rue de l’Église, 14980 Rots – http://www.fermedebilly.fr/
- Domaine de la Flaguerie – Les Vergers de Ducy. Bio depuis 1998. Délicieux calvados, pommeau et cidre. Entre Bayeux et Caen. Le calme de la campagne : Rue du Lieu Moussard, Moussard, 14250 Ducy-Sainte-Marguerite – https://lesvergersdeducy.fr/
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J’espère que vous aurez pris plaisir à en apprendre plus sur les appellations cidricoles. Pour ma part, j’ai pris plaisir à découvrir une appellation française que je connaissais peu et dont les produits méritent vraiment de trouver une bonne place sur nos tables.
Je vous souhaite une bonne dégustation!
A très vite,
Antoine-Baptiste
N’oubliez pas 👉🏻« L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. »