Les lunettes ne sont pas qu’un accessoire. Ce sont des objets d’ingénierie miniature, des bijoux d’artisanat portés sur le visage, des témoins discrets de notre rapport au monde. On les choisit souvent pour leur forme – à définir en fonction de son visage – ou leur marque, mais rarement pour leur matière, et pourtant, tout commence là. Car la matière d’une lunette, c’est son âme : elle détermine son poids, sa souplesse, son confort, son allure, et même la façon dont elle vieillira.
Entrons dans les coulisses des matériaux des lunettes de vue homme, qui font la noblesse du regard masculin.

L’acétate : le grand classique du style
S’il fallait retenir une seule matière emblématique de la lunetterie contemporaine, ce serait l’acétate de cellulose. Conçu à partir de fibres de coton et de pulpe de bois, ce polymère naturel fut mis au point dans les années 1940 pour remplacer l’écaille de tortue qui était progressivement interdite.
L’acétate combine la souplesse du plastique à la noblesse d’un matériau d’origine végétale. Il se polit à la main, se chauffe pour être ajusté, et retrouve sa forme initiale après usage. Contrairement à un plastique injecté, il ne jaunit pas, ne se déforme pas, et peut être réparé.

Les plus grands fabricants utilisent l’acétate Mazzucchelli 1849, maison italienne mythique installée à Castiglione Olona, dans la région de Varèse. C’est elle qui fournit les meilleures marques de lunettes pour homme mais aussi la plupart des artisans lunetiers haut de gamme, de Jacques Marie Mage à Ahlem, en passant par Moscot ou Cutler & Gross.
L’acétate permet une richesse chromatique inégalée : teintes translucides, effets marbrés, nuances d’écaille ou d’ambre, dégradés ou motifs sur couches superposées. C’est la matière la plus expressive, celle qui donne du caractère à un visage – l’équivalent textile du tweed ou du velours côtelé : chaleureuse, intemporelle, presque vivante.

Le titane : l’alliance de la légèreté et de la résistance
Apparu dans la lunetterie à partir des années 1980, le titane a révolutionné le confort des montures. Métal noble, à la fois plus léger et plus résistant que l’acier, il ne s’oxyde pas, ne rouille pas et ne provoque aucune allergie. Sa densité est environ deux fois plus faible que celle de l’acier, mais sa résistance mécanique est supérieure : on peut le tordre, le plier, il reprend toujours sa forme initiale.
C’est le métal de l’aéronautique, des montres de plongée et de l’horlogerie fine – et c’est aussi celui des lunettes haut de gamme japonaises. Des maisons comme Masunaga, Eyevan 7285, Matsuda, ou KameManNen l’ont élevé au rang d’art, usinant le métal à la main, parfois poli miroir, parfois brossé mat.
Porter une monture en titane, c’est goûter à la légèreté absolue, une sensation presque immatérielle sur le nez. Elle s’adresse à ceux qui recherchent le confort technique, la précision du design, et une élégance discrète – le minimalisme nippon dans toute sa splendeur.

L’acier inoxydable : rigueur moderne et finesse
L’acier inoxydable, ou « inox », est un autre grand métal de la lunetterie. Moins cher que le titane, il permet la création de montures fines et géométriques, souvent associées à des designs modernes.
Il résiste à la corrosion, supporte les traitements de couleur et peut être usiné en épaisseur très fine sans perdre en solidité. C’est la matière favorite des montures dites « semi-rimless », ces lunettes au design épuré où le verre semble flotter dans l’espace. Les designers danois et allemands (notamment Lindberg, Mykita, ou Götti) l’utilisent pour ses propriétés structurelles, qui autorisent des charnières invisibles et des lignes architecturales. Un choix parfait pour les amateurs de design fonctionnel, sobre, presque industriel.

La corne naturelle : le luxe à visage humain
La corne de buffle est l’un des matériaux les plus nobles de la lunetterie artisanale. Issue d’un travail entièrement manuel, elle offre une texture chaude, organique et sensuelle, incomparable à tout matériau synthétique.
Chaque plaque de corne est découpée, affinée, chauffée et polie à la main. Sa teinte dépend de l’origine de l’animal : beige clair, miel, gris perle, brun profond ou presque noir.
Contrairement au plastique, la corne n’accumule pas la chaleur, elle respire, et se patine au contact de la peau. Avec le temps, elle devient plus brillante, plus douce, presque vivante. Les artisans comme Maison Clerc, Maison Bonnet ou Coffignon perpétuent cet art rare, héritier des lunetiers du XIXᵉ siècle. Une paire en corne est souvent sur mesure, ajustée au millimètre, et peut durer toute une vie si elle est bien entretenue.
Le bois : la nature au bout du nez
Utilisé dès le début du XXᵉ siècle pour des prototypes, le bois a retrouvé ses lettres de noblesse avec la tendance écoresponsable. Les montures sont généralement fabriquées à partir de fines couches de bois pressées et collées pour garantir résistance et stabilité. Érable, noyer, bambou, zebrano… chaque essence possède sa couleur, son grain et son odeur. Ces lunettes se patinent, se personnalisent et séduisent les amateurs de matières brutes et d’artisanat poétique. Attention cependant, elles peuvent être plus fragiles.

Les matériaux techniques : polyamide, TR90, nylon injecté
Dans le registre sportif ou fonctionnel, on trouve des montures réalisées en TR90, un polymère thermoplastique développé en Suisse. Souple, léger, incassable et hypoallergénique, il est souvent utilisé pour les lunettes de sport ou de soleil hautement sollicitées. Le nylon injecté ou polyamide offre une résistance exceptionnelle aux chocs, tout en gardant une grande flexibilité. C’est le domaine de marques comme Oakley, Ray-Ban Tech ou Julbo, qui exploitent ces matériaux pour un usage dynamique, outdoor, ou professionnel.
Les matières écoresponsables : un regard sur demain
Face aux enjeux écologiques, la lunetterie évolue. Le bio-acétate — sans phtalates et partiellement biodégradable — est désormais proposé par Mazzucchelli, garantissant la même esthétique que l’acétate classique mais sans les solvants pétrochimiques.
Certaines marques utilisent des plastiques recyclés (Sea2See transforme des filets de pêche en lunettes), d’autres des fibres végétales ou des dérivés de lin (Neubau, Waiting for the Sun). Le résultat : des lunettes à faible empreinte carbone, sans compromettre ni le confort ni le style. Une nouvelle génération de matériaux qui associe innovation, conscience et élégance.

L’écaille de tortue : la matière mythique
Symbole du raffinement absolu, l’écaille de tortue naturelle — issue de la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata) — fut longtemps la matière la plus précieuse de la lunetterie. Rare, légère, chaude au toucher et unique par ses reflets, elle possède une propriété extraordinaire : l’autogreffe, qui permet d’assembler ou de réparer une monture sans colle ni trace visible. Sa beauté tient à la transparence et à la profondeur de ses teintes, du blond doré au brun profond, qui illuminent le visage avec une douceur inégalée. Aujourd’hui, son usage est strictement encadré par la Convention de Washington (CITES) : seules les pièces fabriquées à partir d’écaille acquise légalement avant 1975 peuvent être travaillées par des artisans agréés. Rarissime, coûteuse et entièrement façonnée à la main, l’écaille reste un symbole de tradition et de savoir-faire, un écho à une époque où l’on concevait les objets pour durer toute une vie. On peut retrouver cette matière chez Maison Clerc ou Maison Bonnet.




