L’excellence peut se cacher partout, et souvent au coin de notre rue. Mais on passe mille fois à côté des boutiques et des ateliers qui la font vivre, souvent sans s’arrêter. Certains de ces magasins proposent des objets de luxe, réservés à quelques passionnés, mais d’autres sont des pépites qui conçoivent des objets accessibles à tous.
Ce premier article (+ vidéo) inaugure une série intitulée « SAVOIR-FAIRE », dans laquelle j’ai eu envie de rendre hommage à ceux qui prennent le temps de travailler avec leurs mains pour fabriquer des produits avec un soin extrême et des compétences que seuls la pratique et la patience peuvent offrir.
C’est en passant devant le lunetier Atelier Baudin, installé non loin de chez moi, que j’ai eu envie de créer cette série et de poser mes caméras pendant plusieurs heures dans des endroits où chacun est indispensable, où être qualifié prend des années voire des décennies, où on transforme de la matière brute en oeuvre d’art.
Ce lunetier a ouvert en 2016 rue de Penthièvre dans le 8ème arrondissement de Paris, non loin de la boutique prêt-à-porter de Cifonelli, de l’hôtel Bristol et de l’Elysée. Après des années passées dans le monde de la lunette sur-mesure, Guillaume Clerc a eu envie de créer un lieu pour préserver ce savoir-faire et proposer à ses clients toute son expertise.
La face brute
Il s’est entouré de Brice, un artisan passionné par le travail de la corne du métal et de l’acétate, fin connaisseur de tous les outils indispensables à la confection d’une monture. D’ailleurs, si vous passez en boutique, vous verrez de nombreuses machines qui semblent être entièrement neuves mais qui sont en fait de vieux modèles qu’il a déniché, et remis à neuf pour équipe l’atelier. Vous croiserez aussi des outils qu’il a lui même créé, ne trouvant pas chez ses fournisseurs les modèles sur lesquels il avait appris autrefois.
La phase de polissage d’une branche
La dernière personne à avoir rejoint l’équipe est Rose, une femme en pleine reconversion professionnelle, qui s’est lancée dans l’aventure de la lunette par passion pour l’artisanat. Elle poursuit sa formation en apprenant un à un tous les gestes nécessaires aux côtés de Brice. Quand je suis passé, elle polissait sans relâche pour obtenir un brillant parfait.
Rose en plein polissage
L’atelier ou travaillent Brice et Rose est séparé de la partie « boutique » par une verrière qui laisse entrer la lumière et permet de les admirer à l’oeuvre. Je crois que je pourrais passer des heures à les regarder travailler, à poser des questions et pour comprendre le moindre geste, dans cette partie bruyante et poussiéreuse. Mais bon, on ne fabrique rien de beau avec les mains propres…
C’est d’ailleurs ce que j’aime chez les artisans. La poussière, la limaille, les copeaux de bois au sol, toutes ces petites traces, comme les empreintes de l’effort et de la dextérité.
La toile utilisée pour poncer
Une expertise inestimable
Chez les Ateliers Baudin, on vient de se faire fabriquer une monture sur-mesure juste pour soi. Un objet unique.
Ça commence d’abord par une discussion sur les goûts et les envies. On parle de la couleur, du poids, de l’usage, et de la relation qu’on entretien avec ses lunettes.
Imaginez, on peut choisir parmi 300 couleurs différentes entre la corne et l’acétate de cellulose, et une quinzaine pour l’écaille de tortue (à noter : l’atelier m’a confirmé utiliser uniquement d’anciens stocks d’écailles existants avant 1974 en conformité avec la convention de Washington sur les espèces protégées).
C’est souvent un objet avec lequel on passe des heures. Dans mon cas, c’est 16 heures par jour minimum, 365 jours par an, et cela depuis plus de 20 ans. Il est indispensable de prendre autant de temps et soin à choisir ses montures et ses verres, que son prochain ordinateur ou téléphone.
Ici on peut tout faire. Sky is the limit ! Certains ont leur forme bien spécifique, qu’ils se font fabriquer en autant d’exemplaires qu’ils veulent de couleurs. D’autres font leur paire fétiche qu’ils ne quittent pas, et quelques-uns viennent se faire un petit plaisir original qu’ils porteront de temps en temps.
L’installation de la charnière
Mais ce qui est sûr, c’est qu’ils repartiront tous avec une paire parfaitement ajustée pour leur nez. Ici on pense à tout. De la correction à la morphologie du visage en passant par la carnation de la peau et des cheveux, tout est optimisé. Le plus important étant encore le centrage du verre, qui sera parfaitement adapté à l’oeil, contrairement à des lunettes en prêt-à-porter. Comme pour un costume grande mesure, l’objet est fabriqué pour vous et sur vous. Il se pliera à vous, et pas le contraire, c’est un confort qu’on ne peut toucher du doigt qu’une fois la paire posée sur son nez.
Comment fabriquer des lunettes sur-mesure ?
Brice part d’abord d’une plaque de corne ou d’acétate, qu’il va découper grossièrement à la forme de la lunette à l’aide d’un outil à commande numérique, . Ensuite, tout se passe à la main. Il fait d’abord un « drageoir », c’est à dire une petite gorge dans laquelle sera positionné le verre, et c’est ce qui servira de base à toute mise en forme et toute découpe ultérieure.
Ensuite, après avoir fait les contours et l’intérieur, il fait un « déforçage » arrière pour mettre la lunette en volume, et il travaille l’avant avec une lime ou un tour à cannelé (l’outil conique rotatif que vous voyez dans la vidéo). La pièce est ensuite progressivement poncée, avec une toile émeri de 180 (gros grain) à 600 (grain fin) avant de passer au polissage avec un tampon rotatif en flanelle pour être lissée, puis en peau de chamois pour lui donner cet aspect brillant.
Cette opération est la même pour la création des branches, qui doivent être ensuite être adaptées à l’épaisseur du « tenon », qui est la partie où se fixe la charnière de la lunette, puis il faut faire des perçages pour placer les charnières rivetées et enchâsser les rivets.
Enfin, il faut réaliser « l’anglage » (comme en horlogerie), qui va permettre d’ajuster l’ouverture de la branche à la morphologie du client. A partir de là, c’est presque terminé, le tout passe par un dernier polissage avant de monter les verres et de faire les derniers réglages sur le propriétaire de la monture.
* * *
Après trois à quatre semaines, la paire sera fin prête pour être livrée. Il sera temps d’entretenir avec elle une relation certainement plus particulière qu’avec n’importe quelle autre paire industrielle. C’est un modèle qui aura été imaginé selon les envies de celui qui la porte, et spécifiquement fabriqué pour lui.
Nul doute que ce simple détail lui procurera un plaisir similaire à celui de porter un costume ou une paire de souliers sur-mesure.
Pour le coût, cela dépend de votre mutuelle. Hors remboursement, comptez à partir de 690€ pour de l’acétate, 990€ pour de la corne et enfin 3500€ pour de l’écaille naturelle. Pour un accessoire d’une telle qualité, le prix me semble être largement justifié.
Si vous cherchez plus d’infos sur les Ateliers Baudin, rendez-vous sur Ateliersbaudin.com, ou directement au 38 rue de Penthièvre, Paris 8ème. Passez de ma part voir cette petite équipe tellement sympathique, il y même des chances de me croiser là bas où dans le quartier !
Et surtout n’oubliez pas, I’m watching you…