Un Indien payé deux euros par jour plante une graine, qu’il arrose de produits chimiques cancérigènes, après six mois et beaucoup d’eau, genre huit mille litres, ça donne un kilo d’coton qu’il expédie en Chine, où c’est trié, lavé, tiré pour faire du fil, dans une usine chinoise qui frôle l’esclavagisme, le fil part en Turquie, il est tissé par des femmes horizontal, vertical, ça s’appelle du chaîne et trame, direction la Roumanie yeah, où des meufs se tuent pour fabriquer nos habits yeah, deux cents kilomètres jusqu’à la sérigraphie yeah, pour mettre le logo d’un designer méga riche yeah, qu’écoutent des mecs qu’ont payé une grande école, qui réfléchissent à comment vendre cette merde à tes gosses, comme ils ont pas d’idée, ils paient une star des millions, pour mettre une affiche en boutique avec son p’tit nom.
Orelsan – « Baise le monde »
Dans ce morceau tiré de son dernier album « Civilisation », Orelsan illustre avec cynisme l’absurdité et l’hypocrisie d’un mode de vie dont nous sommes les acteurs malgré nous. Afin d’illustrer l’insouciance et la passivité généralisées dans lesquelles nous nous complaisons, au quotidien et dans notre façon de consommer, il s’imagine en train d’exhiber son tout dernier survêtement lors d’une soirée. Alors, toujours sur la même rythmique, volontairement entêtante et enjouée, il nous détaille avec minutie chacune des étapes, plus vertueuses, durables et conscious les unes que les autres, nécessaires à la confection du survêt tant convoité (pas que par lui d’ailleurs, c’est bien le problème). Bon évidemment, quand on s’intéresse de près à la mode et à l’industrie textile, deuxième industrie la plus polluante de la planète après l’industrie pétrolière, le récit volontairement schématique et cliché déroulé par Orelsan vise plus à nous faire réagir qu’à nous donner une leçon. Ce serait d’ailleurs assez culotté de la part d’un artiste également patron d’une marque de vêtements. Elle est respectueuse des conditions de travail et de l’environnement, la sienne ? Justement, je me suis dit que l’occasion de se pencher sur trois marques fondées par des personnalités était toute trouvée. Parce que proposer des produits dérivés sans saveur, c’est devenu assez banal, mais étendre son univers artistique en développant une réelle vision créative et en l’incarnant par un réel travail sur le design, les coupes, les matières premières ou le storytelling, c’est autre chose ! J’ai donc arrêté mon choix sur :
- Avnier – Orelsan & Sébastian Strappazzon
- Mosaert – Paul et Luc Van Haver (Stromae)
- Yoko Shop – Lucas Hochard (Squeezie)
avnier
du rap et des sapes
En 2004, avec Ünkut, Booba ouvrait la voie en devenant l’un des premiers rappeurs français à lancer sa marque de vêtements streetwear. Dix ans plus tard, en 2014, c’était au tour d’Orelsan, lui aussi passionné de mode, de se lancer dans l’aventure avec Avnier. Pour la faire courte, la lettre inconnue coincée entre le « i » et le « r » est en fait un « e » laissé incomplet, censé interpeller visuellement. Cela permet d’induire les mots « avenir » et « avnier », qui est un contraction « d’avant-dernier ». Et oui, car l’idée de fonder une marque, Orelsan l’aurait eu pendant l’avant-dernier concert de la tournée des Casseurs Flowteurs. L’idée symbolique derrière tout ça, c’est de dire qu’on peut réaliser de belles choses sans être dans la compétition, dans l’excellence. Dans une société où tout le monde se vante d’être le premier en tout, être avant-dernier, l’assumer et réussir, c’est quelque chose d’assez inspirant.
Pour concrétiser son projet, le rappeur s’entoure de Sébastian Strappazzon, le directeur artistique et designer d’Avnier. Vice-champion de BMX en Suisse, cet ancien plâtrier de métier, se fait connaître avec sa marque de streetwear Alias One, qu’il distribue alors dans sa boutique à Lausanne. En 2006, il découvre l’univers musical d’Orelsan, auquel il adhère immédiatement. Grâce à ses connexions dans le milieu du rap français, il parvient à lui envoyer des pièces, via son manager. C’est comme ça qu’ils sont devenus amis et associés.
les collections
Comme beaucoup d’autres marques d’artistes, Avnier a fait le choix de passer par des éditions limitées et des collections capsules. Ce fonctionnement permet de s’affranchir des rythmes imposés par la mode traditionnelle et de se concentrer sur des projets créatifs plus variés. Le but, c’est aussi de limiter les quantités produites pour réduire au maximum l’impact environnemental lié à la production textile. Pour cela, Orelsan et Sébastian Strappazzon avaient à cœur que leur collections (vêtements + accessoires) soient confectionnées en Europe (Portugal, France, Suisse), dans des ateliers à échelle humaine. La marque insiste d’ailleurs sur l’utilisation de coton bio et de matières recyclées dès que cela est possible. Les teintures, elles, sont certifiées Oeko-Tex, c’est à dire qu’elles sont sans danger pour la peau et l’environnement.
En toute franchise, Avnier est une marque plutôt qualitative, ce n’est pas juste un argument commercial. On est sur un créneau milieu-de-gamme intéressant, avec des tarifs toutefois plus conséquents qui s’expliquent par la dimension artistique du projet. Du point de vue de l’ADN d’Avnier, on est sur des basiques du vestiaire streetwear (hoodies et crewnecks brodés, sneakers trail, t-shirts sérigraphiés, chaussettes, écharpes de supporter…) rehaussés par un petit twist original, des détails qui les rendent attractifs (je vous renvoie plus bas aux zip orange le long des manches du pull en collaboration avec la bonneterie Saint-James). D’une capsule à l’autre, l’univers et les produits peuvent être totalement différents. On est pas juste sur des produits dérivés sans direction artistique derrière, Avnier a vraiment pour ambition de s’implanter durablement dans le paysage de la mode en France. En terme de prix, pour vous offrir en précommande le hoodie qui sera porté par les équipes techniques lors de la tournée Civilisation, comptez 120 €, contre 145 € pour une veste de survêtement et 50€ pour une casquette.
À mon sens, le principal atout de la marque, c’est sa dimension créative et son dynamisme. Certes on a des produits de qualité aux coupes et aux coloris travaillés, mais encore faut-il avoir un bel univers et une bonne stratégie pour les mettre en avant et les vendre. Un petit tour sur le site internet de la marque permet de se rendre compte qu’Avnier ne manque d’aucun de ces ingrédients. Le site internet est joli et efficace. Les lookbooks des collections précédentes sont consultables. La direction artistique et la photographie sont aux petits oignons. Les propositions et les univers visuels s’enchaînent, sans jamais se ressembler. On passe par exemple d’une esthétique « animé japonais » à un esthétique « collage photo ». Dans le cadre des récentes collaborations avec Saint-James, les pièces ont directement été shootées au sein des ateliers de confection, afin de mettre en avant le Made in France et de montrer les produits dans leur « environnement naturel », sans fard.
Enfin, le dynamisme que j’évoquais et l’engouement des fans sont sans doute entretenus par les collaborations récurrentes auxquelles nous a habitué la marque franco-suisse. Originaire de Normandie, Orelsan a très vite travaillé main dans la main avec la bonneterie Saint-James et l’équipementier sportif Umbro, tous deux partenaires du SM Caen. Assez vite, un partenariat s’est noué avec Salomon, autour du modèle XT-5 notamment, apprécié par le rappeur et la mouvance gorpcore. Les gourdes forcément viennent de chez Sigg, fabriquant suisse. Très récemment, Avnier a dévoilé une collection capsule (c’est le cas de le dire) des plus futuristes avec Ariane Group. La « Launch Jacket » en Ventile (tissé en Suisse), confectionnée à Annecy, vous coûtera la somme astronomique de 550 €…
mosaert
un nuage créatif au dessus de Bruxelles
En 2009, Paul Van Haver alias Stromae dévoilait son premier album, « Cheese » et faisait danser la France entière sur « Te Quiero » et « Alors on danse », son premier gros succès. Dans le même temps, avec son frère et directeur artistique Luc Junior Tam, ils décident de lancer leur propre label, Mosaert, afin de conserver une certaine indépendance créative. Concernant le nom Mosaert, c’est ni plus ni moins qu’un anagramme de Stromae, lui-même anagramme de Maestro. La boucle est bouclée. Ce qui est assez intéressant avec Mosaert, c’est que son champ d’activité ne se limite pas à la production musicale seule. On est dans une triade Mode, Audiovisuel, Musique. Quand il ne produit pas ses propres clips, le label le fait pour les autres (Orelsan, Major Lazer, Yael Naim…). Des costumes de scènes à la direction artistique des clips, tout est pensé par Mosaert en amont.
En 2012, Mosaert fait appel à la styliste Coralie Barbier dans le cadre de la production du second album de Stromae. Épaulée par des graphistes, c’est elle qui aide à définir l’identité graphique du nouvel album « Racine carrée ». Les inspirations utilisées sont multiples : Tissus et motifs Wax africain, art géométrique et pavage, style preppy à l’anglaise… En 2014, deux ans après le succès incroyable de l’album et de la tournée, Mosaert décide de voir plus loin que la scène en proposant une gamme de vêtements destinée au grand-public.
Reprenant l’univers graphique de l’album et des costumes de scène, la première collection capsule, proposant des pièces unisexes réalisées en Europe et en quantité limitées, sort dès le printemps 2014. En huit ans, ce sont pas moins de 7 collections qui ont vu le jour, sans compter les collections de noël par exemple, ponctuelles. Le logo actuel, un nuage coloré constitué de plusieurs sphères représentant le processus créatif de Mosaert, n’est apparu qu’en 2020, à l’occasion de la sortie de la collection n°6.
les collections
Comme Avnier, Mosaert est soucieux de s’inscrire dans une démarche la plus éthique et responsable possible. Depuis la collection n°6, la marque s’efforce de n’utiliser que des matières biologiques et recyclés dans ses collections : coton bio, polyester et polyamide recyclé. Même les emballages sont en carton recyclé. Le site internet lui est hébergé sur des serveurs dits « verts », moins chauffant et moins énergivore. Point positif, en bas de chaque produit, vous retrouverez un onglet « True cost of this product », indiquant avec transparence le prix réel du produit par rapport à son prix de vente. Enfin, si cela vous intéresse, Mosaert mentionne en bas de la page « Ethics » les ateliers de confections avec lesquels il travaille. Trêve de bavardage, penchons-nous désormais sur les produits.
Clairement l’esthétique Mosaert ne parlera pas à tout le monde mais ce n’est pas le but non plus. On est vraiment dans le prolongement de l’univers de Stromae. C’est assez difficile à définir tant les influences sont nombreuses. La marque parle de « retro kitsch ». On la culture africaine qui côtoie le style preppy à l’anglaise, sans parler des motifs géométrico-mathématiques qui sont devenus la signature de Stromae et Mosaert. Souvent aussi, on retrouve des motifs floraux luxuriants, parfois on fait un détour du côté de l’art-déco et de l’art-nouveau… Certes il y a du sportswear assez classique mais il y a toujours une bonne dose de folie et de créativité. Plutôt qu’un simple sweat uni brodé, la marque va préférer proposer des imprimés chargés ou des effets Tye and Dye par exemple. Que ce soit sur des t-shirts aux couleurs criardes ou des cardigans fabriqués en Belgique, on retrouve toujours cette petite excentricité qu’on apprécie. Les prix sont dans la moyenne de ce qui se fait en milieu-de-gamme, toutefois, certaines pièces seront plus chères, soit à cause de leur niveau de détails ou du fait d’une fabrication belge par exemple. Un t-shirt oversize brodé fabriqué au Portugal coûte 40 €, une veste de survêtement elle aussi fabriquée au Portugal peut coûter jusqu’à 170 €.
Quand on dispose d’une direction artistique intéressante et originale, qu’on propose des produits de qualité aux clients, c’est encore mieux quand le storytelling est au rendez-vous. Et franchement, quand on connait le talent de Stromae et de ses équipes, on est pas vraiment étonnés de découvrir des lookbooks et des vidéos promotionnelles de qualité. Certes, on a le droit qu’à une collection par an, mais c’est du grand spectacle. J’adore ces univers étranges dans lesquels Mosaert nous emporte.
Depuis sa création, Mosaert a pu collaborer avec des enseignes et des marques. En 2018, à l’occasion de la sortie de la collection n°5, un défilé et une exposition ont été organisé au sein du magasin parisien Le Bon Marché. Plus récemment, le label a travaillé avec le constructeur automobile Mini sur un habillage exclusif destiné à un modèle électrique. Des vêtements ont aussi été proposés pour l’occasion, à retrouver sur leur site !
yoko
hommage à la pop culture et au japon
Orelsan en collab avec Stromae, Mosaert qui réalise le clip de « la pluie », Squeezie qui a tourné il y a un mois une vidéo avec Orelsan, Orelsan fan de manga et doubleur de Saitama dans One Punch Man, Squeezie hardcore fan du Japon et de sa culture… Décidemment, vous allez finir par croire que tout ça n’est qu’un vaste complot arrangé par mes soins. Il y a peut-être un peu de ça mais ce n’est pas ma faute si leurs trois marques sortent du lot.
Après vous avoir parlé de marques fondées par des chanteurs, je me suis dit que j’allais varier un peu en évoquant une marque issue de l’univers YouTube / Twitch. Je veux parler de Yoko, la marque fondée par Lucas Hauchard (Squeezie) et son frère Florent, illustrateur. Pour rappel, Squeezie, c’est pas moins de 16.4 millions d’abonnés sur YouTube et 3.2 millions sur la plateforme de streaming Twitch. Tout ça pour dire qu’avec de la volonté, de la créativité et des moyens, on peut aboutir à une belle marque qualitative, avec un univers propre. Je crois que Squeezie et son frère sont parvenus à développer une marque cohérente attractive. En tout cas, ça ne regarde que moi, je trouve leur proposition plus réussie et travaillée que celles d’autres ténors du « YouTube & Twitch Game ».
À côté de ses activités principales, Squeezie avait depuis longtemps envie de fonder une marque de vêtements avec son frère, illustrateur de métier. Dès 2019, le rêve se concrétise. Après quelques teasings sur YouTube, une vidéo sous forme de court-métrage publicitaire annonçait officiellement le lancement de la marque. Dès le départ, ils souhaitaient proposer des produits de qualité, unisexes, confectionnés, brodés et sérigraphiés avec soin au Portugal. Le but, c’était aussi de les proposer à un juste prix (pas au prix le plus bas pour que tout le monde puisse avoir accès aux collections). Aujourd’hui, Yoko propose une collection permanente parallèlement à ses éditions limitées.
Ce qui est assez original et plaisant, c’est que lorsqu’une nouvelle collection sort, celle-ci est illustrée par une vidéo promotionnelle. Cela permet de créer tout un univers artistique aussi foisonnant que drôle autour des produits. Les produits prennent corps grâce à ça. C’est vraiment futé ! Je vous invite vivement à aller voir les 6 courts-métrages disponibles sur le site. Pour vous mettre l’eau à la bouche, je partage le visuel de la dernière collection, inspirée par le Pachinko, jeu très célèbre au Japon, à mi-chemin entre le flipper et la machine à sous. La vidéo d’illustration n’est pas encore sortie !
les collections
Quand on parcourt les différentes collections, on est immédiatement transporté dans un Japon décalé et fantasmé, où fourmillent des tonnes de clins d’œil et de références à la pop-culture. Quand on s’attaque à la culture japonaise, l’hommage peut-vite virer au cliché ou au too-much. Là, ce n’est pas du tout le cas. L’univers graphique créé par Florent Hauchard y est vraiment pour quelque chose. Que l’on aime ou non avoir des vêtements brodés ou floqués, ça ne change rien à la grande qualité de ses propositions. Même les goodies prennent une autre saveur grâce à ça (chaussettes, tapis, boîte de sauce, bob, gourde…). Regardez ces deux affiches (désormais épuisées), je les trouve sublimes. On est à la fois dans l’art de l’estampe traditionnelle et dans le manga à la Akira ou a la GTO.
Rien qu’avec une planche de stickers, on devine assez vite les influences des deux frères. Vous les avez ?
Faute d’avoir eu les produits Yoko en main, je ne pourrai pas donner mon avis objectif sur la qualité globale et les finitions. Pour autant, de ce que je vois et de ce que l’on m’en a dit, c’est tout à fait honnête. Les coupes sont dans l’air du temps, assez oversize, les molletons sont épais, les broderies et les imprimés sont visuellement intéressants. Les lookbooks aussi sont travaillés. J’ai souri en voyant des selvedge et des New Balance 574 x Tokyo design. On est vraiment à fond dans le Japon. Personnellement, mes pièces de prédilection restent les sweatshirts à capuches, les t-shirts et certains accessoires décoratifs. À vous de faire votre choix.
That’s all folks !
J’espère vraiment que ce long article vous aura plu. Je voulais proposer quelque chose de différent sur une thématique un peu plus libre. Personnellement, j’ai adoré me pencher sur cette question des produits dérivés. J’ai souhaité prouver que lorsqu’un business dispose d’une vraie vision créative et s’entoure de personnes de talent, on obtient quelque chose qui sort du lot, d’assez sain contrairement à du simple merch sans valeur ajoutée. En tout cas, n’hésitez pas à nous dire dans les commentaires quelle marque vous a le plus intéressé.
À bientôt.