Les modes sont comme des girouettes, elles ne s’arrêteront jamais de tourner. Le « Normcore » est le dernier alibi des jeunes branchés à la recherche de nouvelles tendances pour se démarquer de leurs semblables, même quand ladite tendance consiste à avoir un look « normal ». Analyse d’une mode qui est peut-être déjà démodée.
De quoi normcore est-il le nom ?
Le « Normcore », dérivé des mots « normal » et « hardcore », désigne une nouvelle tendance très en vogue chez les fashionistas en mal de sensations « mode ». Appelée au départ « Acting Basic », avant d’être reprise et transformée – par erreur – en « Normcore », cette mode née dans la rue consiste à s’habiller de la manière la plus anti-mode possible, dans un non-style lambda fait de vêtements délavés, mal coupés et bon marché. Phénomène théorisé par les « analystes » de chez K-Hole (agence dénicheuse de tendances), il a été popularisé par la journaliste Fiona Duncan après un article retentissant publié dans le New York Magazine – dont je vous recommande la lecture – (Article du 07/02/2014 ) où elle racontait qu’en se baladant dans Soho elle n’arrivait plus à distinguer les touristes des jeunes branchés, tant les deux arborent ce non-style très fade composé d’un jeans, d’une polaire et d’une paire basket. Après avoir été repris en cœur par tout internet, le phénomène est devenu viral, l’un des premiers sujets d’actualités sur google et twitter en l’espace de quelques heures seulement, se propageant comme le H5N1 dans un élevage de poules.
De la rue à la théorie
Conséquence de l’époque actuelle, cette mode est selon l’agence K-hole « la résultante de l’ère de « Mass Indie » dans laquelle nous vivons : cultiver sa différence étant devenu la norme, le jusqu’au-boutisme voudrait donc que l’on devienne parfaitement normal, si ce n’est banal voire ringard, pour être différent. » (K-hole) L’agence ne se contente pas de théoriser cette mode mais étend son analyse sur la société et les gens qui la constituent qui, selon elle, « avant, [les gens] naissaient dans des communautés et devaient s’efforcer de trouver leur propre personnalité, une fois dans la société. Aujourd’hui, c’est devenu l’inverse : les gens naissent avec une personnalité, et ils essaient ensuite de trouver une communauté ».(K-hole)
Le Normcore analysé par K-Hole est donc une forme de rejet contemporain d’un être « anti-bobo » voir « anti-hipster » dont l’adepte exècre la sophistication et tente trouver sa communauté d’accueil grâce à un look banal. Plus besoin de se poser de questions devant son armoire, le Normcore s’habille comme n’importe qui car « pour être vraiment Normcore, vous devez comprendre qu’il n’y a rien de mieux que la normalité » souligne le K-hole. Style ultime, plus complexe que toutes les modes, redevenez normaux pour affirmer votre propre style avec le normcore !
Mais de quoi est composé le style Normcore ?
C’est un style qui doit subtilement apparaître comme un non-style. On doit avoir conscience de s’habiller avec des vêtements fades et de ressembler à un touriste perdu sur une plage de la Grande Motte en plein hiver. Les éléments caractéristiques de cette mode : un t-shirt blanc trop grand, des baskets blanches banales, des chaussettes de tennis blanches, un jean droit très délavé ou des sandales Birkenstock. Adieu le dernier pull Margiela, le chic ultime se trouve dans l’ancienne garde-robe de vos parents stockée au garage. Vous avez déjà tout donné ? Pas grave, rattrapez vous en dévalisant le relais Emmaüs de votre ville !
Qui sont les icônes du Normcore ?
On a tendance à désigner Steve Jobs, Bill Gate ou Jerry Seinfeld aux USA. Chez nous, c’est plutôt Jean-Jacques Goldman, Olivier Besancenot ou Xavier Niel. Vous voyez de qui je veux parler maintenant ? Finalement, votre propre père est donc peut être le futur icône de cette non-mode.
Mais ces icônes ne seraient rien sans leurs fournisseurs. La marque Gap, ayant bien compris qu’il fallait battre le fer tant qu’il est chaud, s’est déclarée le 27 fevrier dernier sur twitter « founisseur officiel de Normcore depuis 1969 » !
Devenir normal pour être différent
Arme ultime face au désir de chacun d’être différent, le Normcore semble être – selon ses amateurs – le seule moyen de trouver sa place dans un monde où nous avons tous accès à l’information, où internet nous empêcherait de nous affirmer. Notre croyance égocentrique d’unicité se trouverait soudainement fracassée sur l’écran de nos ordinateurs. Mais comme le dit très justement Slate, « C’est le paradoxe du hipster, obligé de refuser le label « hipster » qui, en l’englobant dans un tout, détruit de fait sa quête de singularité ». Et K-hole d’insister : « La différenciation, c’est de rejeter la différence ».
Il est vrai que je ne suis pas partisan de ces excentricités, mais le plus intéressant, je crois, est de voir l’évolution de ces modes et des les comprendre dans leur globalité. Les modes passagères s’observent et nécessitent d’être comprises. Mais ce style – qui n’en est pas un – reste toutefois un non-style quant bien même on décide volontairement de le porter. Un style ne devient pas un bon style par le seul fait qu’on le porte d’une manière raisonnée et volontaire. Car on n’adopte pas un style, on le construit au fur et à mesure de ses découvertes et de ses expériences. Du coup, avec le normcore, on en arrive à se demander : pourquoi chercher en permanence à être différents en apparence alors que nous sommes par essence tous des êtres uniques ? La plus grande différence ne serait-elle pas de chercher à exprimer qui nous sommes, à exprimer enfin sa personnalité ? Ne vous étonnez donc pas de croiser dans le métro des jeunes « branchés » au non-look banal et insipide, arborant un k-way un t-shirt blanc, un jean délavé et une paire de basket à scratch chinée dans une brocante. Si même l’élite de la mode se met à taper dans les stocks de fringues des plus démunis, ca vire à l’acharnement social. Finalement c’est ça la mode, ça ne fera jamais l’élégance, mais au moins c’est vivant !
Arnaud