Quand Victor m’a dit que la marque qu’il lançait allait s’appeler « Malfroid », je n’étais pas serein. Vous imaginez, « mal » suivi de « froid ». De quoi mettre instantanément le cafard à tout Paris ! Et puis il m’a sorti un premier prototype. Puis un second. J’ai pris le temps d’observer les détails, de comprendre le montage, de toucher le cuir et finalement, de glisser mon pied pour la première fois dans cette nouvelle paire. Et soudainement le nom ne sonnait plus de la même manière.
L’histoire des chaussures Malfroid
Malfroid, c’est d’abord un hommage à un ancien bottier parisien disparu dans les années 70 et plongé dans l’oubli. Mais attention, la marque ne revendique en aucun cas un héritage faussement historique, et le choix de ce nom est plus celui du clin d’oeil de deux passionnés que d’une stratégie de communication fumeuse.
Car Malfroid est bien une marque lancée cette année, en octobre 2018. Elle est le fruit de la rencontre entre Victor Bastié et Thomas de Bascher.
Victor n’en est pas à son coup d’essai, et vous l’avez déjà vu dans une de mes vidéos, puisqu’il a tenu pendant quelques années la boutique d’une autre marque de chaussures connue à Paris, à la même adresse que la boutique Malfroid. Dire que c’est un passionné de chaussures est un euphémisme. Il parle du soulier avec amour, en bon technicien, mais surtout en esthète. Il aime les belles formes et les proportions justes. Il a l’oeil vif et précis, mais il a surtout une très haute exigence de qualité pour ce qu’il vend à ses clients. Tous ceux qui connaissent la boutique du numéro 7 de la Rue Villebois-Mareuil le disent, Victor est plus qu’un excellent commerçant, c’est surtout un passionné.
Les gants Atelier Particulier chez Malfroid
Le coup de pinceau d’Edouard, un compagnon du devoir qui travaille chez Malfroid.
Thomas est lui aussi un passionné, mais il était jusqu’alors plus client que vendeur. Il a eu la chance – et le bon goût – de chausser les plus belles paires de souliers qui se font. Eclectique, il possédait aussi une superbe collection de sneakers qu’il avait constitué lorsqu’il partait l’été aux Etats Unis dans les années 80. Ce sont toutes ces expérience qui lui ont donné de solides connaissances et un oeil très précis quand il s’agit de « beaux objets ». La rencontre de ces deux passionnés ne pouvait que déboucher sur un beau projet. Il ont finalement co-fondé leur marque de chaussures française indépendante, en 2018.
Les accessoires Joseph Bonnie
La grande spécialité de Victor : la patine.
Une philosophie simple : le meilleur rapport qualité / prix
Le duo tire son inspiration « du style anglais intemporel, de l’audace italienne, d’une décontraction américaine, et de ce “je ne sais quoi” qui fait l’élégance française« . C’est une définition qui pourrait laisser croire à un fourre-tout, mais le résultat est plutôt sympathique !
L’idée chez Malfroid, c’est d’avoir une gamme avec les grands basiques qu’on porte tous – l’oxford, la richelieu, la chelsea – et en plus de proposer des pièces qui sortent de l’ordinaire, avec ce fameux « je en sais quoi ».
Malfroid Richelieu « Rosewood » Marron Café (forme 361)
Tout cela, ils le proposent avec rapport qualité / prix vraiment hors du commun. Et je tiens à insister sur ces 3 derniers mots. Car il m’est arrivé de porter quelques paires sympathiques d’autres marques et d’en parler sur VGL, mais je dois dire que celle que j’ai aux pieds dans cet article est la première où la qualité et le prix sont réellement déconnectés.
Un prix déconnecté de la qualité
Que ce soit des paires à 500€ ou 160€, la qualité des paires dont j’ai parlé sur VGL collait toujours avec le prix, ce n’était jamais déconnant. Mais là, on frise la folie.
Le prix d’une paire varie entre 259 et 330 euros. Jusqu’ici vous allez me dire que c’est « classique » pour une paire de chaussure de moyenne gamme. Et pourtant, quand on se penche sur les détails de cette chaussure, on est plutôt dans le haut de gamme et on a du mal à résoudre l’équation.
Car Malfroid, c’est avant tout des peausseries parfaites. Les cuirs viennent exclusivement des tanneries françaises les plus prestigieuses. Et voici le quarté dans l’ordre :
- Tannerie Roux ;
- Tannerie d’Annonay ;
- Tannerie Degermann ;
- Tannerie du Puy.
La seule exception est faite pour le veau velours déperlant qui vient de chez Charles F Stead & Co LTD. Mais c’est bien normal puisque cette dernière est « la » référence dans son domaine.
Mais parler des « meilleures tanneries » est une chose, encore faut-il choisir le bon grade de cuir chez ces fournisseur de renom. Et pour le coup, le grade sélectionné par Victor et Thomas est très loin au dessus de ce que j’ai pu voir jusqu’ici à ce prix. Au final, on se retrouve avec des cuir au grain magnifique, qui plissent bien, et dont on sait qu’ils ne se craquèleront pas dans 6 mois !
Côté semelle cuir, on retrouve un traitement en tannage végétal extra lent, souvent fait à l’écorce de châtaignier. Victor me confiait que c’est un cuir qui est vendu cher, mais qui offre une bien meilleure robustesse, étanchéité, et une longévité accrue pour la semelle d’usure. C’est une bonne nouvelle pour ceux qui ne font pas poser de patin.
La semelle est montée avec un double cambrion en bois qu’on peut voir en relief sous la chaussure. C’est un détail « bottier » qu’il est rare de voir à ce niveau de finition car cette pièce qui donne la rigidité à la chaussures et majoritairement en métal sur les chaussures de cette gamme de prix. Les puristes apprécieront.
Côté montage, Malfroid a opté pour un cousu Goodyear, aussi appelé cousu trépointe. C’est un montage reconnu pour sa grande robustesse et sa capacité à être ressemelé si nécessaire. Le montage est en plus d’une superbe qualité qu’on peut apprécier à l’oeil nu. Il l’est d’autant plus quand on sait que le fil qui sert à coudre les chaussures est poissé (enduit) à la main à l’atelier juste avant d’être utilisé pour la couture, comme à l’ancienne.
Pour refermer la parenthèse du montage, vous pourrez noter sur une superbe finition bottier sur chaque paire. Ce sont les petits trais en pointillé qui sont faits sur la semelle à l’extérieur, au niveau de la trépointe. Cela n’apporte rien niveau technique, mais c’est une finition qui donne un beau rendu. On ne la retrouve en général que chez les grands chausseurs ou les artisans bottier, car ces petits traits faits à la roulette permettent d’avoir les repères pour une couture bien régulière quand la chaussure est cousue à la main.
La forme : l’allure de la chaussure
Mais qu’est-ce qu’un beau montage sans une belle forme ? Rien ! C’est comme si un chef étoilé faisait son meilleur plat, mais présenté en vrac dans une barquette en plastique.
Ici, la forme est à la hauteur des matériaux utilisés. Elle a été soigneusement travaillée par Thomas et Victor avec le formier de leur atelier pour obtenir un chaussant parfait. Et le résultat est vraiment stupéfiant, surtout au niveau de la voûte plantaire. Je vous dis cela sans aucune exagération. D’ailleurs, je vous recommande vivement de ne pas me croire et de passer en boutique essayer une paire pour vous faire votre propre idée, et on en reparle !
Pour l’allure extérieure, je trouve les formes très réussies. La majeure partie de la collection est déclinée en forme 361 (ronde) ou en forme 533 (fine). C’est à ce moment que vous devrez choisir ! Mais si vous voulez mon avis, j’ai une préférence pour la 361.
Les modèles de la première collection Malfroid
J’ai opté pour la Richelieu « Rosewood » Marron Café (forme 361). Et là vous allez me dire « mais pourquoi Arnaud ». Ce à quoi je réponds : « mais parce qu’elles fracassent !!! «
Non mais franchement, quand je suis arrivé dans la boutique Victor avait cette paire aux pieds. J’avoue que c’est plus facile de se faire une idée quand le modèle est porté. Je lui ai directement demandé et les essayer, et une fois aux pieds, je n’ai pas réussi à m’en défaire. Je suis rentré chez moi sans la paire, j’y ai pense toute la journée, et quand j’y suis retourné quelques jours après, il a fallu que je reparte avec !
Il n’y avait pas à l’époque cette paire de « Stelvio » en cuir grainé absolument dingue. C’est ma prochaine paire. Vous remarquerez le dessin de la découpe du cuir qui est exceptionnel dans tous les recoins de ce modèle. Rien n’est simplifié sur cette paire. Elle est tout simplement belle.
Et si vous êtes plus classique, vous trouverez forcément de quoi vous chausser avec les richelieux « Savoy« , « Bristol« , « Lannistair » ou la one cut « Mareuil » ; la derby 3 oeillets « Bel Ami » ; la double boucles « Scapin » ; ou les bottines « Bonneville« .
Une telle paire à ce prix : mythe ou réalité ?
C’est précisément la question que j’ai posé à Victor et Thomas !
Ils m’ont répondu qu’ils le font parce que c’est leur philosophie. Ils ont envie de proposer le meilleur, au meilleur prix.
Pour proposer ce prix, les chaussures Malfroid ne sont vendues que dans l’unique boutique de la marque, sans intermédiaire ni revendeur, sans marketing tapageur, et donc sans multiplier les marges. C’est le seul véritable détail qui permet à la marque de proposer une paire fabriquée au Portugal à 285€, qu’on trouve normalement autour de 400€ chez d’autres chausseurs pour une qualité similaire.
Je suis sorti de la boutique en me disant que c’était certainement le dernier frisson que j’ai eu pour des chaussures depuis un petit moment. Et les discussions que j’ai avec Victor et Thomas me font dire que les prochains modèles des Malfroid vont certainement nous réserver quelques surprises.
Affaire à suivre.
Arnaud.
Infos : Malfroid, 7 Rue Villebois-Mareuil, 75017 Paris
